TITRE: Application intégrale et adéquate des décisions historiques du Tribunal canadien des droits de la personne en ce qui concerne la prestation de services d’aide à l’enfance et le principe de Jordan
OBJET: Services d’aide à l’enfance
PROPOSEUR(E): Cheryl Casimer, mandataire, Bande indienne de Tobacco Plains, C.-B.
COPROPOSEUR(E): Ian Campbell, Chef, Nation de Squamish
DÉCISION: Adoptée par Consensus
ATTENDU QUE:
A. Le gouvernement fédéral du Canada finance les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations dans les réserves par l’intermédiaire d’Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC).
B. Le principe de Jordan est un principe de « l’enfant d’abord », en vertu duquel, dans toute situation de services publics mis à la disposition de tous les autres enfants, s’il surgit un conflit de compétence entre le Canada et une province ou un territoire, ou entre deux ministères au sein du même gouvernement, le gouvernement ou le ministère de premier contact paie les services et peut demander par la suite un remboursement à un autre gouvernement ou à un autre ministère.
C. Par exemple, les enfants des Premières Nations en Colombie-Britannique sont financés conformément à la Directive 20-1 qui prévoit le niveau le plus bas de financement des services à l’enfance parmi les quatre approches de financement d’AANC. Cela veut dire que des services de prévention culturellement adaptés destinés au maintien sécuritaire des enfants dans leur foyer n’existent pas, ce qui contribue à une augmentation du nombre d’enfants en famille d’accueil.
D. En 2007, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations (la Société de soutien) et l’Assemblée des Premières Nations (APN) ont déposé une plainte alléguant que le financement des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations d’AINC fournis à plus de 163 000 enfants était discriminatoire et que l’application du principe de Jordan était défectueuse, inéquitable et donc discriminatoire en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (TCDP 7008/1340).
E. Le 26 janvier 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a rendu sa décision (2016 TCDP 2) concernant la plainte déposée en février 2007 par la Société de soutien et l’APN en concluant notamment que:
- La conception, la gestion et le contrôle du programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (PSEFPN) ainsi que ses formules de financement et les autres ententes provinciales et territoriales connexes ont abouti à des refus de services à de nombreux enfants et familles des Premières Nations vivant dans les réserves et le PSEFPN a entraîné des effets néfastes parce qu’il était fondé sur des suppositions erronées concernant les communautés des Premières Nations ne tenant pas compte des besoins réels des communautés.
- Les deux principaux mécanismes de financement du PSEFPN encouragent le retrait des enfants des Premières Nations de leur famille.
- L’interprétation étroite du principe de Jordan faite par AINC et la mise en œuvre restrictive de ce principe entraînent des lacunes dans les services, des retards ou des refus et, surtout, des effets négatifs pour les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans les réserves.
- La discrimination raciale provenant du programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations fourni par le gouvernement du Canada et de l’application inadéquate du principe de Jordan approfondit le problème historique des pensionnats indiens.
F. À la suite de la décision du Tribunal, le gouvernement du Canada a unilatéralement annoncé les allocations budgétaires pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations sans consulter véritablement les Premières Nations et a également fait une annonce unilatérale à propos du principe de Jordan sans consulter les Premières Nations. Le budget de 2016 est un plan budgétaire quinquennal dans lequel 71 millions de dollars sont prévus pour les services à l’enfance et à la famille pour l’exercice 2016-2017 et 54 % du financement prévu sont affectés à l’année de la prochaine élection fédérale ou à l’année suivante. Cette approche d’augmentation progressive du budget ne tient pas adéquatement compte du développement des enfants et de la gravité des torts qui leur sont causés par des retraits inutiles de leur famille.
G. Ces mesures et leurs répercussions ne sont pas conformes à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant et aux articles suivants de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones:
- Article 2 : Les autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et ont le droit de ne faire l’objet, dans l’exercice de leurs droits, d’aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones.
- Article 22 (2) : Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.
H. Dans sa décision, le Tribunal a rendu plusieurs ordonnances. Il a notamment ordonné de :
- cesser les pratiques discriminatoires concernant le PSEFPN et réformer le programme;
- cesser d’appliquer une définition étroite du principe de Jordan;
- prendre des mesures pour appliquer immédiatement le principe de Jordan selon sa pleine signification et son entière portée.
I. Le Tribunal a gardé compétence sur la plainte pour permettre la collecte de plus amples renseignements relativement aux mesures correctrices immédiates et à long terme demandées par la Société de soutien et l’APN et pour obtenir plus d’information sur l’indemnisation demandée pour les enfants des Premières Nations qui ont été touchés par les pratiques d’aide sociale dans les réserves entre 2006 et le 26 janvier 2016.
J. Le 26 avril 2016, le Tribunal a rendu une deuxième décision (2016 TCDP 10) en exprimant sa préoccupation relativement au respect de la décision 2016 TCDP 2 par le gouvernement du Canada, forçant celui-ci à confirmer son adoption du principe de Jordan avant le 10 mai 2016 et à déposer des rapports détaillés sur sa conformité à l’ordonnance de non-discrimination concernant le financement des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations:
K. Le Tribunal devrait rendre une troisième ordonnance sur les mesures correctrices requises au cours des prochaines semaines.
L. Le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à mettre en œuvre les 94 Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Un certain nombre d’appels à l’action exhortent tous les ordres de gouvernement à réduire le nombre d’enfants autochtones pris en charge et à fournir des ressources adéquates pour aider les communautés et les organisations d’aide à l’enfance à garder les familles unies.
M. L’ordonnance du Tribunal combinée à l’engagement du gouvernement du Canada envers la réconciliation exige que le gouvernement fédéral prenne des mesures immédiates.
POUR CES MOTIFS, les Chefs en Assemblée :
1. Demandent respectueusement au gouvernement du Canada:
- d’honorer son engagement à mettre pleinement en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation concernant les enfants et les familles;
- de prendre des mesures immédiates et concrètes pour mettre en œuvre et honorer les conclusions du Tribunal canadien des droits de la personne dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et al. c. Procureur général du Canada (2016 TCDP 2) et toutes les ordonnances postérieures et de mettre en œuvre le principe de Jordan dans toutes les Premières Nations et dans tous les services du gouvernement fédéral;
- d’allouer suffisamment de ressources immédiatement pour mettre fin à la discrimination contre les enfants et leurs familles, en prenant compte des intérêts des enfants des Premières Nations, de leur vulnérabilité, de leur développement et des torts importants qui leur sont causés par des placements inutiles sous la tutelle de l’aide sociale résultant des services de prévention insuffisants et discriminatoires.
- de mettre en œuvre immédiatement et totalement les mesures exposées dans les documents intitulés Premières étapes pour remédier aux inégalités en matière de Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations : actions immédiates de réforme, Directive 20-1, Premières étapes pour remédier aux inégalités en matière de Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations : actions immédiates de réforme, Approche améliorée axée sur la prévention et Premières étapes pour remédier aux inégalités en matière de Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations : actions immédiates de réforme, Protocole d’entente d’aide sociale pour les Indiens de 1965 afin d’apporter un soulagement immédiat à la souffrance des enfants en attendant que des solutions à long terme soient déterminées;
- de cesser de prendre des mesures unilatérales sans consulter les Premières Nations et de cesser d’entamer, avec les provinces ou les territoires, des discussions bilatérales concernant les enfants des Premières Nations sans la participation de celles-ci et de s’engager à consulter pleinement les Premières Nations et les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations ainsi que les parties à l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations c. Procureur général du Canada (TCDP 7008/1340) pour mettre totalement fin à la discrimination.
2. Soutiennent la revitalisation du Comité consultatif national sur les services à l’enfance et à la famille de l’APN, avec une représentation égale des Premières Nations de tout le pays.
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