L’AEUMC innove en incluant les peuples autochtones
Après plus d’un an de discussions sur la façon de remplacer l’Accord de libre-échange nord-américain, le Canada a conclu un nouvel accord commercial avec les États-Unis et le Mexique dans la soirée du 30 septembre 2018. Il s’agit d’une entente conclue après d’intenses négociations, et le résultat ouvre de nouveaux horizons pour les peuples autochtones et leurs droits.
Dans l’accord commercial international le plus inclusif à ce jour pour les peuples autochtones, l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) servira à protéger les droits des peuples autochtones et à accorder des préférences aux entreprises des Premières Nations.
Des dispositions particulières pour les peuples autochtones se trouvent dans les chapitres Exceptions et Dispositions générales, Environnement, Investissement (responsabilité sociale des entreprises), Textiles, Petites et moyennes entreprises et Comité nord-américain de la compétitivité.
Tout au long des négociations, le Chef national de l’APN, Perry Bellegarde, a eu l’occasion de conseiller la ministre fédérale des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui a dirigé l’équipe de négociation du Canada. Dès le début, la ministre Freeland a convenu qu’il était prioritaire pour le Canada d’inclure un chapitre commercial consacré aux peuples autochtones. Lorsque le Mexique et les États-Unis se sont opposés à un chapitre, la ministre a continué de réclamer des dispositions visant à protéger et à favoriser les peuples autochtones d’Amérique du Nord. Le Chef national a déclaré se réjouir de constater que l’entente de principe contient certaines dispositions visant à protéger les droits des peuples autochtones. Il a insisté pour que des négociateurs des Premières Nations fassent partie de l’équipe du Canada. Bien que cette demande n’ait pas été satisfaite, les Premières Nations ont eu une influence importante sur le résultat.
En août 2017, le Canada a mis sur pied un groupe de travail autochtone pour discuter des éléments d’un projet de chapitre sur le commerce et les peuples autochtones, composé de participants des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Les participants des Premières Nations comprenaient certaines nations et organisations tribales autonomes, des organisations nationales, des sociétés de développement, des entreprises et des organismes de prêt, ainsi que des conseillers juridiques, des analystes des politiques, des chefs de file sur le plan technique, des experts en politique internationale et d’autres intervenants.
La disposition la plus importante de l’AEUMC, dans la mesure où elle a une incidence sur peuples autochtones, est l’exception générale relative aux droits autochtones. Cette clause est essentielle. Elle garantit aux parties la liberté de s’acquitter de leurs obligations légales envers les peuples autochtones et d’agir dans l’intérêt des peuples autochtones sans craindre que leurs actes ne soient contraires aux règles en matière de commerce ou d’investissement. Cela signifie qu’un État ne peut pas en intimider autre au détriment des droits des peuples autochtones. Les obligations constitutionnelles et internationales du Canada en matière de droits de la personne l’obligent à protéger les droits, le titre et les compétences des Premières Nations et de tous les peuples autochtones en Amérique du Nord. La clause d’exception générale est beaucoup plus ferme que dans d’autres accords. L’exception prévue dans l’ALÉNA ne couvrait que certains articles du chapitre sur l’investissement, et non ceux qui sont les plus susceptibles de donner lieu à un différend. Cette nouvelle clause d’exception couvre l’ensemble de l’accord et s’applique aux peuples autochtones de toute l’Amérique du Nord. Elle permettra aux trois États de prendre des mesures pour s’acquitter de leurs obligations légales envers les peuples autochtones sans crainte de représailles.
On retrouve des références spécifiques à la protection des intérêts des peuples autochtones tout au long de l’entente de principe. La formulation de la responsabilité sociale des entreprises, qui est devenu une « norme » dans les accords en matière d’investissement, comporte enfin une mention particulière relative aux peuples autochtones. Il s’agit d’une mesure positive et d’un signal fort pour les sociétés étrangères. Les Premières Nations doivent participer dès le premier jour à tout projet proposé sur leurs terres. Il s’agit d’une démarche sensée sur le plan des affaires, et qui offre la sécurité nécessaire à tout projet de développement envisagé.
L’AEUMC reconnaît le rôle important que jouent les peuples autochtones dans la conservation à long terme de l’environnement. L’eau est le fondement de la vie. Bien que les Premières Nations ne soient pas cités comme tel, il est satisfaisant de constater que les États-Unis et le Canada confirment que l’AEUMC ne crée aucun droit en regard des ressources hydriques naturelles du Canada.
L’AEUMC est un accord commercial et, bien entendu, les dispositions commerciales qui profitent aux peuples autochtones sont cruciales. Le chapitre sur les petites et moyennes entreprises met l’accent sur les activités de coopération visant à promouvoir et à améliorer les possibilités offertes aux entreprises autochtones. Les Premières Nations constituent la population la plus jeune et celle qui croît le plus rapidement au Canada. Les occasions d’affaires pour les entreprises des Premières Nations sont synonymes d’occasions pour les femmes et les jeunes citoyens des Premières Nations – surtout si les activités enjambent la frontière et stimulent le commerce international entre les peuples autochtones.
Dans le chapitre sur les textiles, une disposition prévoit le traitement en franchise de droits des produits de l’artisanat autochtone. Pour bénéficier des avantages de cette disposition, les peuples autochtones doivent collaborer avec l’État pour déterminer ce qui constitue ou non de l’artisanat autochtone. Un résultat positif de cette disposition serait un programme de certification garantissant un artisanat autochtone légitime et certifié authentique par les nations autochtones elles-mêmes, ce qui pourrait éventuellement paver la voie à un programme de certification plus large pour les arts autochtones au Canada.
Un autre point important pour les Premières Nations est que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) est en voie d’être éliminé progressivement de l’AEUMC entre les États-Unis et le Canada. Il y aura toujours un ISDS pour une « période de latence de trois ans ». Une fois échue cette période, il n’y aura plus d’ISDS avec les États-Unis ou le Mexique, ce qui élimine de cet accord la plus grande menace potentielle pour les droits des Premières Nations, en particulier les droits fonciers.
Au cours des négociations, le Canada a été en mesure de faire des progrès qui profiteront aux peuples des Premières Nations, mais il reste encore beaucoup à faire. Les trois parties à l’AEUMC ont approuvé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Bien qu’il ne soit pas fait mention de la Déclaration des Nations Unies dans l’AEUMC, les accords commerciaux ne peuvent et ne doivent pas avoir préséance sur les droits humains fondamentaux, y compris les droits des peuples autochtones.
Le Canada négocie actuellement d’autres accords commerciaux internationaux (accords de libre-échange) et des accords internationaux en matière d’investissement (accords de promotion et de protection des investissements étrangers) avec le bloc commercial sud-américain, connu sous le nom de Mercosur, et l’Alliance du Pacifique, et mène aussi des discussions exploratoires avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est et la Chine. L’Assemblée des Premières Nations continuera de collaborer avec le Canada pour s’assurer que la protection des droits inhérents et issus de traités des Premières Nations, ainsi que la préférence accordée aux entreprises des Premières Nations, demeurent une priorité et soient incluses et renforcées dans les futurs accords.
L’APN continuera de faire pression pour que tous les accords commerciaux reconnaissent explicitement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et pour qu’un chapitre complet soit consacré aux peuples autochtones. L’APN poursuivra ses efforts en vue d’améliorer la formulation de la responsabilité sociale des entreprises dans les futures ententes en matière d’investissement afin que le consentement préalable, libre et éclairé devienne la norme pour les investisseurs. Les projets de développement sur des territoires autochtones ne pourront se concrétiser qu’avec la participation pleine et entière des Premières Nations, sur un pied d’égalité.
L’AEUMC ne traite pas d’une question qui revêt une grande importance pour de nombreuses Premières Nations dont les communautés sont séparées par une frontière qui n’est pas de notre ressort. Les Premières Nations se réjouiraient d’aborder avec le Canada et les États-Unis la question des droits en matière de mobilité et de commerce inter-nations.
Il est temps pour le Canada d’inclure des représentants des Premières Nations dans ses équipes de négociation. Ce serait le moyen le plus efficace de garantir une consultation et une coopération appropriées. En raison de leurs droits ancestraux et inhérents, de leur compétence et de leur titre, les Premières Nations doivent être représentées dans la salle des négociations dans le cadre des futures tables sur le commerce et les investissements. L’APN continuera de presser le Canada de travailler en partenariat avec les Premières Nations pour veiller à la reconnaissance, la protection, la mise en œuvre et l’application des droits des Premières Nations dans cet accord et dans d’autres accords internationaux en matière de commerce et d’investissement.
Les Premières Nations sont prêtes à se mettre au travail afin d’améliorer les débouchés commerciaux pour leurs citoyens. Il devrait maintenant ne faire aucun doute que la certitude économique et juridique ne peut être atteinte sans la présence des Premières Nations à la table des négociations en tant que gouvernements et décideurs. Ce serait une décision sensée sur le plan commercial pour les Premières Nations, le Canada et l’Amérique du Nord.
Actuellement, l’AEUMC est une entente de principe. Il devra d’abord être signé par chaque partie, puis faire l’objet d’un processus de ratification. Le Canada devra également promulguer une nouvelle loi pour le mettre en œuvre. Dans l’intervalle, l’Accord de libre-échange nord-américain demeure en vigueur.
Pour toute information supplémentaire, n’hésitez pas à communiquer avec l’Assemblée des Premières Nations.